Black Dragon
En réponse au grand nombre d'actes racistes perpétrés par des groupuscules issus de la mouvance skinhead xénophobe (boneheads…) au début des années 80, une première génération de bandes émerge dans la banlieue parisienne.
Les Bousnes, Asneys -ainsi qu'une section française des Black Panthers- organisent la riposte. Ces premières « chasses » anti-skins coïncident avec l'éveil de la jeunesse française à la « conscience Black » et aux balbutiements du mouvement Hip Hop.
C'est dans ce contexte que les Black Dragons se forment en 1983. Le mouvement ne tarde pas à faire parler de lui et fédère rapidement de nombreux jeunes (pour la plupart passionnés d'arts martiaux) autour de Yves « le vent », fondateur et chef incontesté.
A son âge d'or, le gang compte plus de 600 membres. Leur territoire : le quartier de La Défense et une partie des Hauts-de-Seine (92). Le « crew » s'échappe régulièrement vers le Forum des Halles, point chaud du Paris des eighties. Un centre névralgique où les affrontements sont fréquents avec les « boneheads » du Nazi Klan, des Tolbiacs Boys ou les membres des Jeunesses nationalistes révolutionnaires, fondées et dirigées par le militant d'extrême-droite Serge Ayoub, plus connu sous le nom de Batskin, en raison de son amour des bates de baseball.
Pour l'occasion, les Black dragons se rallient à d'autres groupes de chasseurs de skins comme les
Cobra Power, les Red Warriors ou encore les Ducky Boys. Issus des mouvements punks d'extrême gauche, ces derniers affichent
une idéologie marquée - un engagement politique que des slogans pour le moins simplistes comme « B.B.B. » (Bière, Baise, Baston) ne reflètent pas toujours.
Les barbares sont dans Paris et la peur fait vendre. Le romantisme déglingué et la violence de ces batailles rangées n'échappent pas aux médias de l'époque. Les bagarres entre ce que l'on nomme les « Zoulous » et les Skinheads seront largement relayées à la Une des quotidiens.
Entre 1988 et 1991, les gangs parisiens ne font plus cause commune et s'entredéchirent dans une longue guerre fratricide. Tous se lancent à la conquête de la rue. Territoire, argent, drogues… c'est l'escalade de la violence et le début des dérives criminelles.
Au milieu des années 90, la police française organise une vaste opération de démantèlement -action tardive qui ne fera reculer ni la violence, ni la misère sociale dans les quartiers populaires.
Si ces bandes aux noms ronflants ont pratiquement toutes disparues aujourd'hui, le phénomène agite plus que jamais la sphère politique française. On ne peut s'empêcher de comparer les récents embrasements d'une certaine frange de la jeunesse de banlieue et les guérillas urbaines menées par les anciens « chasseurs de skins ». Ces gangs « old school » sont la charnière entre les idées révolutionnaires des soixante-huitards et les errements explosifs de la nouvelle génération.
Nés d'une réaction spontanée face au racisme, ils ont affirmé leurs convictions à coups de poings mais à la différence d'aujourd'hui, ces gangs cherchaient à sortir de leur ghetto dans une logique d'extension du territoire. Ils vivaient aussi une relation moins tendue avec les institutions (Police, Etat…) - tensions renforcées par une logique séparatiste de plus en plus forte.
Un point commun demeure. Ce désir de faire bloc dans une société qui les rejette, cette nécessité de se regrouper, que ce soit dans la violence, l'amitié ou la frime afin de se sentir exister.
Aujourd'hui rangés des voitures, Jean-Yves, Directeur d'une école d'arts urbains à Rueil-Malmaison (92), Shuck 2, grapheur reconnu, et Théo, agent de sécurité, reviennent avec lucidité sur leur passé et questionnent en creux l'avenir de la jeunesse des quartiers populaires. (Voir la vidéo)
► Vidéo : Arnaud Ducome et Julien Deschamps. Merci à Abdelkrim Branine pour ses précieuses informations et ses photos.
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